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Donner du sens au travail : sens, utilité et confinement ? | par Laetitia, psychologue ACCA Professionnels

6 Oct 2020

Depuis la fin de l’Antiquité, le travail revêt de fortes valeurs d’intégration sociale et sociétale. Qui n’a jamais utilisé l’excuse du travail pour annuler un diner avec sa belle-famille, retarder un rendez-vous galant, décaler un déjeuner avec un ami, refuser un appel, alors qu’en vérité il s’agissait d’une simple flemme ? Si l’excuse du travail passe encore et toujours (avant qu’on ne découvre le poteau rose), c’est parce qu’elle véhicule l’investissement et l’ambition, deux valeurs portées aux nues dans nos sociétés occidentales. De par l’importance temporelle et cognitive que prend le travail dans nos vies d’adultes, il est pour beaucoup d’entre nous le prisme par lequel on donne un sens à nos vies. Donner du sens au travail oui… mais qu’en est-il quand on nous demande brusquement de tout arrêter ?

Crise sanitaire et confinement ont déstabilisés le rapport au travail

Le 17 mars 2020, une grande majorité des professions tertiaires et des cadres, à l’exception des quelques « professions essentielles à la vie de la Nation » pour reprendre les mots d’Edouard Philippe, s’est retrouvée à l’arrêt complet ou quasi complet. Or, on le voit dans la prévalence de dépressions et d’addictions parmi les demandeurs d’emploi mais aussi les retraités, l’inactivité semble provoquer un profond désarroi existentiel. Cela a amené certains à s’interroger, voire à ressentir un grand vide associé à ce sentiment d’inutilité, de faire un travail ou d’occuper un poste qui, s’il n’est pas utile à la société, est dénué de sens :  A quoi sert-on quand on ne travaille pas ? En réalité, la question du sens du travail dépasse la simple notion d’utilité. En tout cas de l’utilité sociale. Il est alors nécessaire de faire une première distinction entre les notions de sens et d’utilité.

Donner du sens au travail travail de bureau

L’utilité est pratique ; elle se caractérise par un besoin identifié, et par une réponse adaptée. Est alors utile ce qui répond au besoin. Dans le contexte que nous avons vécu et dans lequel nous évoluons encore, est utile d’être aide-soignant, infirmier, logisticien, hôte de caisse, car le besoin est là, tangible. On a BESOIN de soins, on a BESOIN de manger. On est UTILE lorsqu’on répond à ces besoins. Nul besoin de donner du sens au travail quand son métier a, par définition, du sens pour la société.

Le sens est moins palpable, moins pragmatique et surtout plus subjectif. Le sens est la grande inconnue des philosophes depuis toujours. Le sens accordé au travail revêt plusieurs dimensions, de la plus intime à la plus environnementale. Il n’existe pas UN sens du travail, mais des sens différents. Selon les individus, il s’agira simplement de répondre au questionnement court terme « que vais-je faire aujourd’hui ? », quand pour d’autres il devra répondre à LA grande interrogation « que vais-je faire de ma vie ? ». Pour Hanna Arendt, le sens, ou plutôt le non-sens du « labeur », est que l’Homme ne cherche pas qu’à assurer sa survie par le travail qu’il fait. Pour elle, le sens du travail serait la ou les manières dont celui-ci permet de trouver un épanouissement autre que le simple fait d’assurer sa survie et celle des siens. Cette définition fait écho au célèbre excipit de Candide, « il faut cultiver son jardin ». En d’autres termes, le travail a du sens s’il nous permet de nous réaliser. Peu importe alors si on cherche à se réaliser à travers son activité professionnelle ou si cette dernière permet de se réaliser en dehors, de profiter de sa famille, de réaliser des activités extra-professionnelles, de faire des voyages, de donner du temps à des associations, etc.

Pourquoi s’interroger sur le sens du travail ?

Mais alors, dans cette période de confinement, de limitation de nos déplacements, y compris professionnels, qu’est-ce qui fait que l’on s’interroge sur l’utilité et le fait de donner du sens au travail ?

  • D’un point de vue très personnel d’abord, cela peut être engendré par la prise de conscience de ce temps qu’on ne prenait plus la peine d’occuper sciemment, pris dans l’accélération constante des rythmes de vie induite par la durée du travail, des temps de transport, les réseaux sociaux, et même les technologies qui nous mangent du temps, finalement bien plus qu’elles n’en libèrent. Pour emprunter les idées du philosophe Hartmunt Rosa, le confinement nous aurait offert une bulle de décélération, loin de la frénétique accélération du monde – du travail en particulier. Pour la première fois, les individus occidentaux que nous sommes n’ont plus eu la possibilité de se projeter. De fait, aucun engagement n’était possible : gel des recrutements, prêts immobiliers en stand-by, mariages annulés. Du côté professionnel, le constat est le même : rendez-vous reportés puis annulés, ralentissement commercial, projets mis en pause. Quand bien-même le télétravail permettait de conserver son activité, celle-ci pouvait venir à manquer. Prisonniers de l’immobilisme, nous n’avons eu d’autre choix que de composer avec ce temps qui, comparativement à sa vitesse exponentielle de croisière, devint soudainement saisissable. Tout ce temps s’accompagne d’ennui, celui-là même dans lequel Schopenhauer, un autre philosophe allemand, voyait un potentiel de création. Or, cadres ou non cadres, jeunes ou moins jeunes, urbains (plus que ruraux), prenons une minute pour tenter de nous rappeler la dernière fois que nous nous sommes ennuyés ? Pas simple. Dans cette accélération constante que décrit Rosa, l’ennui n’a plus de place que dans des moments rares, voire dramatiques (la maladie, le chômage, …). On ne sait plus s’ennuyer et on a surtout perdu l’habitude de créer pour se sortir de l’ennui. Alors, lorsqu’il est devenu non seulement global mais aussi sans fin (annoncée), là où d’aucuns l’ont saisi comme une opportunité de se retrouver, d’autres l’ont vécu comme une condamnation au vide. Et non au non-sens.
  • Ensuite, et les insomniaques vous le diront mieux que personne : le silence, le vide, l’ennui sont pères de pensées intempestives. De toutes sortes, elles s’immiscent dans notre conscience sans toujours de fondements. On repense à cette dispute qu’on a eue en CM2, à cette promotion qui nous est passée sous le nez l’année dernière, à ces erreurs qu’on aurait soi-disant commises… Le confinement s’est transformé pour certains en une insomnie diurne ; chaque journée devenait propice à la pensée intempestive, et rarement positive. La digitalisation du travail, le télétravail et les relations virtuelles ne découragent pas nécessairement les pensées abusives. Particulièrement pour les personnes facilement distraites, il est facile de se perdre dedans. A la différence que la collègue n’est pas là pour nous taper sur l’épaule et nous en sortir. Et dans le flot de ces pensées, le sens se perd facilement.
  • Si nous nous écartons de la pensée philosophique pour embrasser un peu plus la pensée positive, justement, le confinement a également mis en lumière une distribution des temps différente mais pas moins agréable. L’organisation de la journée de travail s’est progressivement fondue avec les rythmes naturels de chacun : plutôt du matin, ou du soir, ou en fonction des urgences. Hormis les heures passées à se distraire en binge-watchant des séries, en faisant des puzzles, de la peinture, de la photographie, les heures passées à observer les enfants grandir, devoir redoubler d’inventivité pour les occuper, ou simplement chérir ces moments passés – enfin – ensemble, ont pu mettre en perspective les priorités de chacun. La pensée n’est plus intempestive et induite pour une inactivité et un calme inhabituels, mais par le bonheur, et sa mélancolie anticipée, de s’apercevoir qu’on ne passe pas suffisamment de temps avec les gens qu’on aime, ou à faire les choses qu’on aime.
Donner du sens au travail télétravail

On aurait tort de croire que la difficulté de donner du sens au travail ne touche que les personnes préalablement insatisfaites dans leur emploi. Bien entendu, et bien qu’aucune corrélation n’ait été étudiée dans les diverses enquêtes réalisées auprès des salariés dans la période, on peut aisément supposer que les personnes insatisfaites de leur emploi sont plus facilement tombées dans la perte de sens. Toutefois, comme le dernier point l’évoque, les personnes très satisfaites de leur job ont pu vivre cette période comme une telle révélation qu’elles sont amenées aujourd’hui à vouloir redéfinir leurs priorités, et notamment la place du travail dans leur vie.

Comment gérer cette remise en question ?

Mais alors, que penser de tout cela ? Doit-on remettre nos vies en questions pour pouvoir de nouveau donner su sens au travail ? Pas nécessairement. Aussi bouleversants qu’aient pu être ces doutes et ces questionnements, ils restent émanant d’un contexte qui, nous l’espérons tous, était transitoire et surtout exceptionnel. Chacun a été mis en situation de stress pour s’adapter  à l’environnement du confinement. Du jour au lendemain, il nous a fallu nous organiser, choisir notre lieu de confinement, choisir (ou subir) nos compagnons de confinement, travailler différemment, s’occuper différemment. Or, face à l’adversité, ce sont les émotions négatives qui priment. Et avec elles, leurs lots de pensées et de doutes connotés de la même manière. Jusque-là donc, tout est normal. Accepter ces émotions est le premier pas vers leur apaisement. En revanche, c’est leur persistance qui doit nous questionner pour nous mettre sur la voie d’un malaise plus profond et constant. Prendre le temps de s’interroger sur les bénéfices du confinement, sur ce qui nous a manqué, ou au contraire ce qu’on avait le moins hâte de retrouver, permet de poser les choses et donc amorcer une reconquête du sens.